Association pour le Patrimoine et l'Histoire de l'Industrie en Dauphiné

Histoire de l’industrie de la microélectronique dans le bassin grenoblois, de Saint-Egrève, Grenoble, Meylan à Crolles

 

Conférence d’Anne Laffont,
membre de l’Aphid, anciennement Directrice qualité des opérations de Crolles

lundi 6 novembre 2023

Conférence Aphid novembre 2023 -photo1

Résumé de la Conférence

Anne Laffont rappelle en introduction la fabrication du premier transistor en 1947 par Bardeen, Brattain et Schockley des laboratoires Bell, ce qui leur valut le prix Nobel en 1956, et la réalisation, indépendamment mais en 1948, d’un transistor en France par Herbert Mataré et Heinrich Welker, qui ne reçurent pas de prix Nobel…

Première partie : les sites et les entreprises

 

1.    Saint-Égrève

SFR (Société française radio-électrique) et CSF (Compagnie générale de télégraphie sans fil ) avaient des laboratoires de recherche en région parisienne. Le site de production de Saint-Égrève a été créé en 1953 et inauguré en 1955 sous le nom de site Emile Girardeau (fondateur de SFR en 1910). Les bâtiments étaient un ensemble modulaire d’acier et de verre (« wagons ») et dédiés à deux productions différentes : les tubes et les semi-conducteurs. Le site changea un certain nombre de fois de nom et de tutelle au fil des rachats et regroupements d’entreprises : SFR (1955), CSF (1957), Cosem (filiale de Thomson, 1960), Sescosem (1969 par fusion de Cosem [filiale de CSF] et Sesco [filiale de Thomson]), Thomson-CSF (1980) …

Le contexte des plans nationaux

L’état français a mis en place deux « plans » successifs qui ont été déterminants pour l’industrie des semi-conducteurs : le Plan Calcul en 1966 puis le Plan Composants en1978. Le CENG (Centre d’Etudes Nucléaires de Grenoble) créé en 1956 possédait un service d’électronique (dirigé par Michel Cordelle), au sein duquel s’est développé un groupe « Transistors » (Jacques Lacour) centré sur l’étude des transistors MOS (métal-oxyde-semi-conducteur), qui a conduit le 10 octobre 1967 à la création du Léti (Laboratoire d’électronique et de technologie de l’information). Il lui fallait un partenaire industriel. Cela conduisit par la suite à deux pôles de semi-conducteurs en France Thomson-Efcis-Léti d’une part, et Matra-CNET/CNS (Centre National d’Etude des Télécommunications/Centre Norbert Segard) d’autre part.

 

2.    De Grenoble à Crolles

Efcis (Études et fabrication de circuits intégrés spéciaux), filiale à 100% du CEA  (les industriels n’y croyaient pas), fut créée avec un objectif de fourniture de « circuits à la demande » à base de de transistors MOS. Une première chaîne de fabrication « 3 pouces » (diamètre des plaquettes contenant les transistors) a été mise en service en 1976. L’année 1977 vit la prise de participation de Thomson, accompagnée d’un certain nombre d’aides publiques, et 1978 un accord Motorola-CEA-Thomson dans le cadre du Plan Composants. Après la nationalisation de Thomson en 1981, l’idée d’un regroupement des sites de Saint-Égrève et de Grenoble a germé en 1984.

(Parallèlement, le CNS-Cnet avait été créé en 1978 à Meylan et collaborait avec MHS (Matra) à Nantes : Cnet et Léti ne travailleront ensemble qu’à partir de 1990…)

En 1987, Thomson-semiconducteurs fusionne avec  la société italienne SGS (Società Generale Semiconduttori) pour former SGS-Thomson Microelectronics (qui sera renommée STMicroelectronics en 1998 à la suite du retrait de Thomson du capital). Le regroupement des sites de Grenoble et de Saint-Égrève est décidé en 1986 : il conduira finalement en 1988 à la fermeture du site de Saint-Égrève, pour des raisons de qualité de l’eau mal adaptée à la fabrication des transistors MOS.

Au début de 1989, le projet « Grenoble 92 », qui prévoit un centre de recherche commun entre SGS-Thomson et le Cnet, est mis en place pour fabriquer des plaques « 6 pouces », puis finalement des plaques « 8 pouces ». Un accord est conclu en 1990 pour que cette fabrication soit implantée à Crolles. La fabrication à Grenoble s’arrête en 1997, le site étant alors dédié à la conception et au prototypage. Construit avec une participation de Philips, « Crolles 1 » fabrique des plaques de 200 mm (8 pouces) en 1992/1994. « Crolles 2 », avec l’Alliance ST-Freescale-NXP (Philips) passe aux plaques 300 mm. L’Alliance disparaît en 2007 avec le retrait de Motorola et NXP : les produits sont alors uniquement «ST ».

Site SFR de Saint-Egreve en 1955

Le site CFR de Saint-Egrève en 1955

Site ST Microelectronics de Crolles en 1992

Le site de Crolles en 1992

 

Deuxième partie : les produits

Les premiers produits de l’usine de Saint-Égrève étaient des diodes et composants avec le germanium comme matériau semi-conducteur. Les monocristaux de semi-conducteur étaient élaborés à partir d’un bain liquide par la méthode de Czochralski, qui est encore utilisée aujourd’hui. Tous les équipements pour cette fabrication étaient développés et fabriqués sur place. Le faible rendement et le manque de fiabilité des produits expliquent cependant les difficultés rencontrées avec les premières réalisations commerciales comme la radio à semi-conducteurs « Solistor » de la Compagnie Radio France (CRF) en 1957.

Afin d’équilibrer les comptes, et avec la compétence dans la fabrication des équipements , la CSF  développe dès la fin des années 50  une activité d’assistance technique (AT) et à la livraison « clés en mains » d’usines de fabrication de semi-conducteurs, notamment dans les pays de l’Est (Roumanie, Bulgarie, URSS [Kiev]…). Toutes les machines étaient fabriquées à Saint-Égrève.

La découverte en 1955 de l’utilisation des propriétés diélectriques et de masquage de l’oxyde de silicium (SiO2) qui se forme sur le silicium conduisit  à la technologie PLANAR , avec les premiers circuits intégrés, qui ne comprenaient alors qu’un petit nombre de transistors.

Très vite la conception des circuits intégrés a donné lieu à la création d’outils de simulation grâce à une collaboration avec l’université de Grenoble et ses premiers outils de simulation (programmes IMAG). A Efcis, un des premiers succès sera le circuit « Filas »pour la chambre à fils  et les expériences de Georges Charpak qui ont valu à ce dernier le prix Nobel de Physique en 1992.

L’évolution technologique  a permis de miniaturiser les transistors MOS  (conduction « en surface » source/grille/drain+substrat ) ouvrant la possibilité de circuits plus complexes, plus réduits, plus rapides.

En parallèle s’est développée la technologie des transistors « bipolaires » (Bip) , dont la miniaturisation reste limitée par leur architecture (« volumiques » émetteur/base/collecteur)  , et  pour des applications autres que le numérique (produits analogues, de puissance).

Les lieux de fabrication (salles blanches) et le travail qu’on y réalisait ont évolué parallèlement, les salles des années 80 dans lesquelles les opérateurs et opératrices évoluaient au milieu de fours et de produits bien visibles en cours de fabrication sont devenues de grandes salles peu peuplées remplies de machines aux façades lisses peu identifiables. Les outils ont évolué, des fours de diffusion (introduction des dopants) aux équipements d’implantation ionique. La fabrication des masques pour les circuits, qui impliquait en 1965 la découpe manuelle de Mylar pelliculable et des réductions successives, est passée en 1970 à l’insolation de plaques photo puis à la photolithographie. La réduction progressive des tailles, qui a permis la réalisation de la célèbre « loi » énoncée en 1965 par Gordon Moore selon laquelle le nombre de transistors d’un microprocesseur double tous les 2 ans, a impliqué aussi des exigences de plus en plus fortes sur les conditions de fabrication, notamment en termes de particules tolérables dans les salles blanches.

L’environnement est aussi devenu depuis 1995 une préoccupation affichée, avec à Crolles la « déclaration environnementale annuelle du site ».

 

Et ensuite ?

L’américain GlobalFoundries et le franco-italien STMicroelectronics vont construire une nouvelle fonderie à Crolles. Le projet, soutenu financièrement par l’Etat dans le cadre du Chips Act européen, prévoit la création  de 1000 emplois à Crolles et une capacité de production de 620 000 plaquettes de 300 mm. La production de nouvelles puces utilisant la technologie FD-SOI (Fully Depleted Silicon On Insulator) et le développement de futures puces basse consommation avec le CEA-Léti et Soitec.

 

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Questions/réponses

  • Plusieurs anciens de Saint-Égrève remercient et félicitent la conférencière pour sa présentation
  • Un complément d’information sur la qualité exigée pour la pureté de l’eau : cela représente une goutte de pastis dans une piscine olympique…
  • En réponse à une question sur les hauts et les bas de l’industrie microélectronique à Grenoble, Anne Laffont indique que cela n’a pas du tout été linéaire, et que l’obtention de marchés par le directeur de l’entreprise, Giuliano Terzoli dans les années 1990 a été déterminante.
  • À une question sur la politique sociale de SFR en 1960, il a d’abord été répondu qu’il y avait eu un plan social tous les 4 ou 5 ans, avant que la question ne soit reformulée pour mettre en avant ce qui était fait pour personnel en activité : mise à disposition de locaux, conférences…
  • Qu’est devenu le CNS à Meylan ? Il est aujourd’hui fermé, après avoir abrité pendant quelques années les activités d’Orange-France Télécom.
  • L’association Tedimage38 est rapidement présentée. Cette association qui regroupe des salariés de Thomson-CSF, Thales Tubes Electroniques et Trixell a pour but d’assurer la sauvegarde et la mise en valeur historique des produits conçus et fabriqués à St Égrève et Moirans depuis 1955. Le site de St Égrève fabriquait dès 1955 des tubes électroniques destinés à des capteurs d’images puis des panneaux plats dès 1972. Cette activité a été déplacée à Moirans dans les années 1990 et s’est spécialisée notamment dans les capteurs pour la radiologie. Elle possède un hall d’exposition et un site web : https://www.tedimage38.org/

Compte-rendu rédigé par Jean-Marc Chaix