Association pour le Patrimoine et l'Histoire de l'Industrie en Dauphiné

ROSSIGNOL, une entreprise leader dans le ski mondial, histoire de son innovation industrielle

 Conférence de Maurice Woerhlé,
ancien Directeur de la R&D chez Rossignol

lundi 8 janvier 2024

Photo conférence du 11 décembre 2023

Compte rendu de la Conférence

Résumé de la Conférence

(rédigé par Charles Obled)

Maurice Woerhlé commence par se présenter : né en 1933, jeune ingénieur à la fin des années 50, il entre au CEA. C’est en plus un skieur confirmé, intéressé par la technique du ski, et familier des stages du GUC avec G. Joubert. En 1963, Rossignol, qui jusque-là travaille surtout empiriquement avec son savoir-faire accumulé, le sollicite pour développer une approche un peu plus scientifique et bénéficier de ses connaissances techniques, notamment en instrumentation.

En introduction de sa conférence, Maurice Woerhlé brosse d’abord un historique de l’entreprise, en commençant par le fondateur Abel Rossignol, tourneur sur bois et fabricant de navettes pour l’industrie textile (1903). En parallèle, et dès 1907, Il commence à fabriquer des skis en bois, notamment pour le Touring Club de France, puis devient fournisseur de l’Armée. Les années 30 voient apparaître les carres métalliques, vissées, et l’usage de l’hickory, puis du lamellé-collé frêne-hickory pour économiser ce dernier. Il passe la main à son fils qui s’assure le concours d’Emile Allais, champion du monde en 1937, et prend un brevet sur le contre-collage en 1939. On introduit aussi la semelle plastique, et c’est ainsi que naît en 1941, le fameux Olympique 41, sur lesquels Henri Oreiller gagnera la descente olympique en 1948 à St Moritz. En 1950 apparaît la carre cachée, ainsi que les skis métalliques (plaques de zicral formant poutre, proposés d’abord par Head). A la mort du fondateur, en 1956, Emile Allais suggère de faire appel à Laurent Boix pour diriger l’entreprise Rossignol. La mise au point des skis métalliques s’avère compliquée, mais en 1960, Jean Vuarnet gagne la descente aux J.O. de Squaw Valley sur des Allais 60. A partir de 1962, la vente des skis « bois » diminue, mais les Allais 60 connaissent des déboires (défauts de collage, corrosion…). De plus, on cherche à évoluer vers des skis en fibre de verre, même si le noyau reste en bois.

En 1963, l’entreprise décide donc de se doter d’un vrai service Recherche et Développement, et recrute son premier ingénieur : Maurice Woerhlé. Il s’attache au développement des skis à noyau bois avec caisson en fibre de verre, mais aussi à l’amélioration des skis métalliques. Surtout, il met en place des essais systématiques de résistance, en développant au besoin les machines d’essai nécessaires, ou en instrumentant les machines existantes, comme le contrôle des températures sur les presses de moulage. Les résultats ne se font pas attendre, puisque Guy Périllat gagne en 1964 aux J.O. d’Innsbruck. En 1965 on développe la technique du moulage et la mesure du taux de résine pour le ski Strato tandis qu’on améliore l’Allais Major par des inclusions de caoutchouc. On développe aussi les mesures de répartition de pression sous le ski grâce à une machine de grande déformation. Et enfin on entreprend (mais cela durera jusque 1973) des recherches sur la position idéale de la chaussure sur le ski…

Les années 70 voient l’abandon du bois et le développement des skis à noyau moulé en polyuréthane. On améliore aussi les semelles en polyéthylène haute densité, en s’intéressant beaucoup au contact ski-neige. Mais à la fin de ces années-là, pour la société les préoccupations porteront surtout sur le marketing et le développement à l’International : Laurent Boix-Vives sera élu manager de l’année en 1976. Cependant, le marché du ski va connaître une forte contraction en 1980, après quelques hivers peu enneigés et le contrecoup de la crise pétrolière.

 En résumé, Maurice Woerhlé a su brillamment illustrer, et nous faire partager, sa passion pour l’innovation. Sa conférence a vivement intéressé l’auditoire, et réveillé en beaucoup des souvenirs et la nostalgie de ces années « où il y avait vraiment de la neige à Noël » !

Chronologie des événements décrits dans la conférence

(rédigée par Anne Laffont)

 

  • 1903 – Abel Rossignol, menuisier, crée une tournerie à Voiron et y fabrique des navettes pour métier à tisser.
  • 1907 – Abel Rossignol réalise sa première paire de skis en bois massif. Ces skis sans carre conviennent très bien pour le plat, mais pas sur pente. Ce sont les norvégiens qui s’intéressent les premiers aux skis sur pente, avec un étrier en travers.
  • 1909 – Le Touring club de France rédige un manuel de fabrication (conformateur de cintrage).
  • 1930 – Rudolf Lettner invente les carres qui permettent une bonne accroche.
  • 1933 – Des norvégiens font une autre invention capitale, la structure à 3 étages : de l’hickory de qualité sur les deux faces et un bois plus léger entre ces deux couches. Le ski est en compression au-dessous et en traction au-dessus.
  • 1937 -Le skieur Emile Allais, qui collabore avec Rossignol et sera actionnaire de l’entreprise, remporte plusieurs victoires sur des skis Rossignol.
  • 1941 – Abel Rossignol dépose le brevet du ski Olympic 41, une structure de ski à deux étages, le dessous étant en bois sur dosse et le dessus en bois sur quartier. Dans l’atelier Rossignol, Angel Nocente est celui qui avait les idées et c’est très probablement lui qui a mis au point le ski Olympic 41
  • 1945 – Un brevet est déposé par Chance Vought (constructeur des avions Corsair) pour des skis à structure sandwich métal/bois/métal (aluminium/balsa/aluminium).
  • 1948 – Henri Oreiller remporte la médaille d’or aux JO avec les skis Olympic 4 Faits entièrement en hickory, ils sont particulièrement lourds, c’est là un modèle historique amélioré par la suite.
  • 1950 – Paul Michal, le fondateur de la marque Dynamic, dépose un brevet de carres cachées. Leur intérêt est de supprimer les vis apparentes des carres plates et leur frottement sur la neige. Mais Rossignol restera longtemps avec les carres plates, plus faciles à assembler (la carre cachée nécessite un passage sous presse).
  • 1950 – Howard Head, ingénieur aéronautique, conçoit une structure de ski métallique à noyau bois. Emile Allais en ramène un prototype des États-Unis. Rossignol l’améliore en utilisant du zicral (alliage d’aluminium et de zinc), le « métal de la neige ». La carre est cachée en biais dans l’épaisseur du métal. Formé à plat, le ski est ensuite chauffé pour obtenir la courbure.
  • 1954 – Mort d’Abel Rossignol.
  • 1956 : Rossignol est en cessation de paiement. Emile Allais sollicite Laurent Boix, un entrepreneur qui a une vision à l’international et prendra plus tard le nom de Boix-Vives d’une part, et Hubert Cormouls-Houlès et Patrick Cognac pour le financement d’autre part. Abel Rossignol fils est directeur technique. L’activité textile de la menuiserie est arrêtée. Les débuts du ski métallique sont difficiles. Les premiers skis sont assemblés avec des rivets. Péchiney donne un coup de main pour le traitement de surface.
  • 1960 – Rossignol produit le ski Allais 60, avec lequel Adrien Duvillard gagne toutes les courses et Jean Vuarnet la médaille d’or aux JO de 1960 à Squaw Valley.
  • 1962 – Les skis en bois stagnent et la qualité des skis Allais 60 est défaillante (défauts de collage). Il n’y avait alors pas de description précise des procédés. La colle était un mélange approximatif des deux constituants (« un pot de chambre et un biberon »).
  • 1962 – Un autrichien remporte la victoire aux championnats du monde à Chamonix en 1962 sur des skis en fiberglass. Chez Rossignol, le développement du fiberglass, réalisé dans un moule, en une seule opération, rencontre des difficultés : les skis sortent du moule avec du voile ou un jeté. La victoire autrichienne est un échec pour Rossignol qui se trouve ensuite en situation de faillite.
Conférence M Woerhlé - Rossignol - 8 janvier 2024 _ ski Rossignol Allais60
  • 1963 – L’organisation de l’entreprise est encore artisanale : absence de document technique, pas de contrôle qualité, pas de test des skis et la pression sur le personnel de production est forte.
  • 1963 – Angel Nocente propose une stratification de tissus de fibres de verre sur un noyau de bois, avec résine époxy. Ce sont les débuts de la R&D, avec la mise au point de nouveaux procédés. La trame du tissu de fibre de verre est développée à Chambéry pour éviter les risques de coude. Un essai de résistance est mis au point.
  • 1965 – la R&D progresse : des mesures de la température dans les presses à vapeur (thermocouples dans les skis) permettent d’optimiser la polymérisation de la résine à 100°C pendant 15minutes, avec un refroidissement contrôlé et rapide.
  • 1965 – Les skis Strato rencontrent un grand succès, ce qui permet de redémarrer Rossignol, d’autant plus que le procédé est plus économique que précédemment. Après la victoire de Zimmermann sur un ski Fisher entièrement collé, c’est le début de la mise au point du ski Allais major. Un ruban de caoutchouc sulfurisé garantit le collage et permet de corriger l’excès de raideur en torsion du ski métallique (en mettant ce ruban, c’est comme si le ski était plus étroit). Des essais sont effectués en labo : extensométrie (jauge de contrainte), courbes de perte de cambre…
Conférence M Woerhlé - Rossignol - 8 janvier 2024 _ ski Rossignol Strato
  • 1967 – Un banc de mesure de la répartition de la pression sous le ski est mis au point.
  • 1968 : machine de grande déformation.
  • 1965-1973 – La position de l’avant de la chaussure est fixée traditionnellement au milieu du ski : c’est le principe de la chaussure de marche, toujours en vigueur pour les skis de fond. En 1973 une réunion à Salzbourg définit une norme ISO adoptée par tous : le principe de point de montage central avec la mise en place d’une marque sur les skis et d’une autre au milieu de la semelle des chaussures à faire correspondre.
  • 1970 – Aux championnats du monde à Val Gardena, 50% des coureurs ont des skis Rossignol. Rossignol remporte le grand prix des oscars à l’exportation.
  • 1971 – Les skis avec un noyau polyuréthane expansé sont mis au point : reproductibilité et amélioration des comportements sur la neige par rapport à ceux à noyau en bois. Cela sera appliqué à tous les modèles haut de gamme (métalliques, fibrométalliques et à fibres de verre) jusqu’en 2005. Les concurrents seront en échec sur cette technologie. Le procédé s’effectue toujours dans les presses à vapeur à 100°C.
  • 1971 – L’entrée de Rossignol à la bourse de Paris marque aussi le début du modèle bon marché (BM). Les modèles bas de gamme, avec moins de fibres de verre (30% en moins), passaient tout juste les spécifications, et convenaient aux personnes de moins de 50kg. Des unités de production sont installées un peu partout dans le monde, ainsi qu’à Saint-Paul-les-Trois-Châteaux. Le problème de tenue des vis (tiennent bien en statique) du modèle ROC 550 est résolu par l’ajout d’une plaquette. Un test par choc doit être ajouté.
  • 1973 – Rossignol voit une forte progression boursière.
  • 1975- c’est l’année du modèle ST compétition: structure fibroplastique et caisson armé.
  • 1975 – Des recherches sur la mécanique du ski sont réalisées en collaboration avec le Leti (traitement du signal) et l’INSA de Lyon (laboratoire de mécanique) : des jauges de contrainte et des accéléromètres équipent une paire de skis ST650 instrumentée, un émetteur est placé dans le sac à dos du skieur ; les enregistrements sont effectués sur le terrain (récepteur en bas des pistes) puis analysés par des techniques de traitement du signal et des données.
  • 1976 – Rossignol possède 11 unités de production dans 5 pays étrangers. Laurent Boix-Vives est élu manager de l’année par le Nouvel Economiste.
  • 1978-1980 – Les données des nouveaux essais sur des modèles SM instrumentés montrent comment les skis vibrent, la fréquence dépendant du rayon du virage.
  • 1979 – 1 980 000 paires de ski sont fabriquées par le groupe. Le modèle SM compétition est produit, dérivé du Roc 50
  • 1980 – Un amortisseur interne (structure d’élastomère) est intégré aux skis.
  • 1980 – La chute brutale du marché liée au deuxième choc pétrolier conduit à la suppression de 10 des filiales.
  • 1988 – Rossignol décide le démantèlement de sa R&D.
  • 1989 – La SA devient une holding familiale et rachète les chaussures Lange.
  • 1990 – Salomon lance le ski monocoque
  • 1992 – Rossignol copie le ski monocoque, avec une baisse de qualité.
  • 1993 – Les skis très cintrés dits « paraboliques » apparaissent sur le marché. Ils nécessitent de changer tous les moules.
  • 1995 – Régression technique
  • 1997 – Après le retrait de Laurent Boix, Rossignol est administré par un directoire, dirigé par Claude Jantet. Le budget course est réduit
  • 1998 – Rossignol passe au ski parabolique (raccourci) avec un retard de 5 ans sur ses concurrents.
  • 2000 – Claude Rodet prend la tête du directoire, remplacé en 2004 par Bruno Cercley
  • 2005 – Rossignol est vendu à Quicksilver (Bernard Mariette) pour 360 M€. Bruno Cercley reste DG et la production est transférée de Voiron en Espagne, sur un site qui n’a pas le savoir-faire nécessaire.
  • 2008 – Rossignol est revendu pour 100 M€ au consortium Chartreuse et Mont Blanc.
  • 2013 – Rossignol est vendu au fond norvégien Altor. Bruno Cercley reste DG.
  • 2018 – Le chinois IDG prend une participation de20%.
  • 2020 – Décès de Laurent Boix-Vives
  • 2021 – Un nouveau DG est nommé : Vincent Vauters.
  • 2023 – Rossignol renoue avec les bénéfices, avec un chiffre d’affaires le plus élevé de toujours. La société s’est diversifiée : vêtements, vélo, golf…
  • 2024 – À la date de la conférence, Rossignol recherche un repreneur

Questions/réponses

(résumées par Anne Laffont)

  • Les JO de Grenoble en 1968 voient un grand succès pour les skis Dynamic et les chaussures Le Trappeur avec la triple victoire de J-C Killy. Dynamic et Trappeur, après une première tentative ont poursuivi chacun séparément. Le conférencier (MW) fait remarquer qu’il n’y a eu qu’un écart de 2cm à l’arrivée entre Guy Perillat (sur skis Rossignol MV2) et Killy…
  • A-t-on pensé à mettre du téflon (Téfal) sous le ski ? MW indique que des essais ont été réalisés avec Adrien Duvillard, et que le résultat indiquait que le ski glisse moins bien qu’avec le polyuréthane. Ceci est interprété par l’importance des vibrations dans le comportement global : il vaut mieux de grosses molécules à cause des vibrations.
  • « Ski compact » (mot venant des USA, où « compact » désignait un concept de « petites » voitures) ? Il y avait une demande du marché pour des skis plus courts, mais il y avait le problème de la position de la chaussure. Ce n’a pas été un grand succès.
Conférence M Woerhlé - Rossignol - 8 janvier 2024 _ photo2
  •  Propriété intellectuelle ? Il n’y avait presque pas de dépôt de brevet chez Rossignol, c’était un choix de la direction. La philosophie a changé avec les chaussures.
  • Mise en place de normes ? Après des réactions aux accidents observés, d’abord aux USA dans les universités, des études ont démarré à l’hôpital de Munich (ont cassé des tibias pour faire des mesures). Les fabricants se sont motivés (« si on ne fait rien, c’est les universitaires qui vont faire les normes »). Il y a eu d’abord un travail sur les fixations (avant, arrière) qui a limité les fractures, ce qui a conduit à observer une augmentation des ruptures de ligament croisé antérieur, attribuées en 1980 aux chaussures trop hautes et trop rigides. Le talon a été descendu de 13 à 10 cm.
  • Légèreté des skis de randonnée ? Elle est due à une structure en nid d’abeille, à la fibre de carbone et l’aluminium. En ski alpin, les chaussures et les skis sont plus lourds que ce qu’ils pourraient être.

Quelques liens pour approfondir le sujet

(proposés par Anne Laffont et Charles Obled)

 Maurice Woerhlé a aussi publié « Les peuples du ski – 10 000 ans d’histoire » (éd. Books on demand, 2020)