Alfred et Henri Fredet,
une épopée industrielle (1864-1942)
Conférence présentée par
Éric ROBERT
historien et fondateur de Dire l’entreprise
Auteur du livre « Alfred et Henri FREDET, une épopée industrielle (1864-1942) »
lundi 3 juin 2024
Compte rendu de la Conférence
Compte rendu rédigé par Anne Laffont
Personnages relativement discrets, Alfred et Henri Fredet figurent pourtant parmi ces grandes familles d’industriels qui ont activement participé au développement isérois à partir des années 1860. En s’appuyant sur un fonds d’archives familiales jusque-là inexploité, cet ouvrage retrace leur impressionnante épopée. Des initiatives pionnières d’Alfred Fredet en matière de houille blanche et de papeterie, aux ambitieuses réalisations de son fils Henri dans des domaines aussi variés que l’hydroélectricité, l’électrochimie, l’électrométallurgie et les constructions métalliques, ce livre raconte
L’œuvre de deux entrepreneurs particulièrement énergiques et très engagés dans l’essor de leur territoire d’adoption, la vallée du Grésivaudan.
Le comte Jean de la Roche Aymon, arrière-petit-fils d’Henri Fredet a ouvert les archives familiales qu’il avait conservées et inventoriées (plus de 100 pages d’inventaire) aux historiens, universitaires et associations culturelles. Grâce à ces archives une étude plus approfondie a pu être menée sur la famille Fredet.
Alfred Fredet (1829 – 1904)
On dit de lui qu’il a mené une carrière « rude comme un militaire ». Après ses études à l’école centrale il s’installe en 1864 dans la vallée du Grésivaudan pour son potentiel dans le domaine de l’industrie papetière. Il est alors contacté par un ami, Amable Matussière, installé à Domène depuis 1856, pour son projet de fabrique de pâte à papier pour la vendre aux papetiers de la région.
Sur ce projet se retrouvent 4 pionniers : Alfred Fredet (ingénieur), Gaspard-Zéphirin Orioli (chimiste), André Neyret (financier), Amable Matussière (initiateur/commercial) . Leur association est vite rompue, mais c’est le point de départ de nombreuses réalisations :
- Papeterie Moulin-Vieux à Pontcharra: Orioli
- Papeterie de Rioupéroux : Neyret
Alfred Fredet et Amable Matussière restent à Domène et Brignoud, et reprennent la papeterie de Nestor Tercinet . Avec le concours d’Auguste Chevrant , beau-père d’Alfred Fredet, anciennement directeur de la papeterie d’Essonne, cette entreprise devient profitable.
Il y a à Brignoud une chute intéressante du ruisseau de laval (147m 700cv). Amable Matussière et Alfred Fredet ont deux vues différentes, Amable Matussière veut utiliser cette chute pour un défibreur/production de pâte à papier, et Alfred Fredet souhaite développer sa propre papeterie complète . Dans le même temps, Aristide Bergès aménage une chute (défibreur/pâte).
Le projet de papeterie est estimé à un budget de 400kF sur 20 mois, ce sera 1MF et il faudra 6 ans pour lancer la production. Pour expliquer ce retard, c’est la guerre entretemps contre la Prusse , il faut trouver un arrangement sur l’alimentation en eau de la population de Brignoud, suite à l’hostilité des riverains et il y a des problèmes techniques. La production démarre dès 1875 avec 800tonnes/an. Mais le marché a changé, les prix baissent. Il y a des différends entre Alfred Fredet et son beau-père Auguste Chevrant. Alfred Fredet refusant de régler les créances d’Amable Matussière, ce dernier assigne Alfred Fredet en justice. Débutent 7 années de procès qui génèreront de nombreux écrits, une manne pour les historiens.
Pour rentabiliser la papeterie, les investissements se poursuivent à Brignoud avec l’achat d’une deuxième machine à papier (1880) puis une troisième (1886). Ceux qui y ont investi demandent une rente annuelle, ce qui constitue des charges financières trop élevées. Les créanciers renoncent à une partie de leurs droits, ce qui permet un retour à l’équilibre après 30 ans d’efforts. La production de la papeterie de Brignoud est alors de 3500t/an en papier fin et mi-fin, avec 350 ouvriers.
Alfred Fredet est un notable engagé dans le vie publique (construction de maisons ouvrières, création d’école sur le hameau de Brignoud, adduction d’eau, fontaines, PTT). Il a un fils (Henri) et une fille. Il y a une correspondance importante entre le père et le fils.
Henri Fredet (1877-1955)
Il entame comme son père des études à l’école centrale qu’il quitte après un an, après avoir rencontré sa future épouse. C’est un passionné d’électricité. Il rejoint son père en 1900 pour continuer le développement de la papeterie de Brignoud. Dès 1904, ce sont les premiers aménagements hydroélectriques sur la vallée du Breda (chute de la ferrière), avec une ligne haute tension entre Ferrière et Allevard (25kV sur 34km) , ce qui permet d’électrifier les papeteries (1904-1906). La centrale (1500/2400cv) produit un excédent d’energie qui pourra alimenter une industrie d’électrochimie/électrométallurgie.
Henri Fredet rachète une ancienne fonderie à Brignoud (2 fours de production de carbure de calcium pour le marché de l’acétylène). Il élabore un projet d’une centrale sur une chute en amont de Tencin . En 1914 Henri Fredet est mobilisé, puis rapidement réaffecté à Brignoud pour finir la centrale de Tencin (la réalisation de la chute n’avait pu être terminée avant la guerre) . Il s’intéresse à différents marchés de guerre , avec la production de cyanamide . Il installe 12 fours supplémentaires, et cela se traduit par 200 à 300 personnes de plus sur le site. Des baraquements hébergent les prisonniers de guerre mis à diposition pour la main d’oeuvre. Un poste de transformation (achevé en 1918) alimente les différents ateliers.
Après la guerre, Henri Fredet passe un contrat avec PLM pour réparer le matériel roulant. Il crée un immense atelier dont le personnel passe de 400 à 1000 au début des années 30. Il crée la fondation des Ateliers Wagons de Brignoud (AWB). Henri Fredet est initiateur et partie prenante dans le projet du barrage du Chambon. C’est un changement d’échelle avec la centrale de St Guillerme (30000cv). Le chantier est pris en charge par l’état. C’est l’un des plus grands barrages de l’époque. Il pilote la création du funicualire et du sanatorium du plateau des petites roches (en faisant appel à des suisses).
Brignoud se transforme : 3000 habitants de plus (+400%) de 1904 à 1931) . Il y a 3791 personnes en 1931 (dont 55% d’étrangers). Création de cités jardins. Devenue la plus grande du Grésivaudan à cette époque, cette ville n’est pas une commune : elle est est située sur les communes de Villard-Bonnot et de Froges. Henri Fredet est élu au conseil municipal de Villard-Bonnot (1904-1912), puis de Froges (1912-1944).
Les limites du groupe créé par les Fredet arrivent très rapidement, avec un besoin d’investissement dans chaque secteur. Dès les années 1920 cela devient très difficile. Avec Aristide Bergès, ils créent les Papeteries de France début 1922. Les usines Fredet s’associent à Kuhlmann pour la partie métallugie fin 1922 (Etablisements Fredet-Kuhlmann). Henri Fredet restructure autour des ateliers de wagons, et finit par céder ses parts aux Papeteries de France en 1927.
A la crise des années 30, on arrête de distribuer des dividendes. En 1934, PLM dénonce le contrat. Le montant de dédommagement est utilisé pour reconvertir les installations en fabrication de bouteilles de gaz, structures de charpente métallique. Cette reconversion est un échec et l’entreprise est mise en liquidation en 1938. La société est dissoute en 41-42. Cette faillite personnelle se répercute sur l’ensemble de la famille, mais les usines et les infrastructures subsistent.
Questions/Réponses/Discussion
- Que subsiste-t-il de la famille dans la région ? Personne de la famille dans la région.
- Croissance pendant la guerre : il y avait un accès facilité à la matière première, aux financements pour le cyanamide explosif. La production a ensuite évolué vers le cyanamide engrais. Pendant la guerre la main d’oeuvre était féminine surtout dans les papeteries, mais pas aux fours.Du côté de Vienne, enrichissement de l’industrie textile avec les tenues des soldats .
- Dénonciation du contrat PLM : c’était un monoclient. Les compagnies de chemin de fer étaient déficitaires depuis le début des années 30 . Il a manqué une stratégie industrielle à long terme, la stratégie étant plutôt opportuniste.
- AWB : Dans les années 60 , production de préfabriqués, « Wagons Brignoud »
- Les archives sont en Belgique, chez le comte de Jean de la Roche Aymon. Elles se trouvaient auparavant au château du mas à Froges.
- La papeterie de Brignoud : C’est aujourd’hui une usine prospère qui utilise le process papetier pour fabriquer du non-tissé (reconversion dès les années 60). Reprise par le groupe finlandais Ahlstrom en 1996.
- Barrage du Chambon : Cet ouvrage a été construit pour régulariser le débit de la Romanche. Henri Fredet et Charles Keller, réunissent dans la société du barrage Chambon-Romanche tous les usagers du barrage c’est-à-dire les industriels de la vallée.