Pourquoi Grenoble est restée internationalement reconnue dans le domaine portuaire
De l’étude hydraulique des barrages aux études de plans directeurs portuaires, de la modélisation physique à la réalisation des ports modernes…
Claude Torchon ,directeur d’études portuaires
Yves Marcellin, ingénieur de travaux maritimes
Compte rendu de la Conférence
rédigé par Anne Laffont

Grenoble et l’hydraulique
Grenoble est un berceau de l’innovation dès le 19e siècle (ciment, gants, boutons pression) et celui de l’énergie hydraulique (Aristide Bergès, Alfred Keller, Amable Matussière). Une école d’ingénieurs hydrauliciens rattachée à l’INP Grenoble est créée en 1929.
Le papetier Neyret et le mécanicien Beylier unirent en 1917 leurs savoir-faire avec les Suisses Picard et Pictet pour créer les ateliers NBPP, spécialisés en matériel hydraulique. Ils deviendront en 1948 Neyrpic (aujourd’hui Alstom Power Hydro), qui s’imposera comme un leader mondial des équipements hydrauliques et hydroélectriques. Dans ce paysage très industriel, Sogreah voit le jour en 1923 sous la forme du Laboratoire Dauphinois d’Hydraulique. Totalement intégré aux ateliers NBPP, il en est le laboratoire d’essai où sont mis au point les équipements hydrauliques commercialisés par l’entreprise. Et c’est en mars 1955 qu’une dizaine d’ingénieurs réunis autour de Pierre Danel, décident de constituer le laboratoire en société autonome, filiale de Neyrpic : Sogreah est née (Société Grenobloise d’Études et d’Applications Hydrauliques) . (https://amicaleretraitessogreahartelia.e-monsite.com/pages/histoire-de-sogreah/histoire-de-sogreah.html)
C’est en 1985 que Sogreah reprend le Laboratoire Central d’Hydraulique de France (LCHF) et son laboratoire de sédimentologie marine, qui fait du nouvel ensemble ainsi constitué le leader de l’ingénierie maritime en France et un acteur de tout premier plan sur la scène internationale.(https://amicaledesretraitesogreah.e-monsite.com/pages/les-logos-de-sogreah-de-1920-a-2012/laboratoire-hydraulique-de-france.html)
Artelia est une entreprise d‘ingénierie indépendante, née de la fusion de Coteba ( fondée en 1961, en tant que filiale de la Générale des eaux) et Sogreah en 2010, Artelia est un groupe international multidisciplinaire de conseil, d’ingénierie et de management de projet qui intervient dans les secteurs du bâtiment des infrastructures de l’eau, de l’industrie et de l’environnement.( https://fr.wikipedia.org/wiki/Artelia)
Les atouts de Grenoble
- Une école de navigation de Port Revel (sur un lac de 5 ha dans les Chambarans), créée en 1967 à la demande d’Esso pour reproduire le port de Mohammedia au Maroc et y faire naviguer à l’échelle 1/25 des navires pétroliers en y reproduisant l’inertie des bateaux. On peut y reconstituer des sites particuliers (ex : canal de Suez). C’est toujours d’actualité.
- le laboratoire Coriolis, créé en 1960 sur la presqu’île de Grenoble dans l’optique d’une étude sur l’ensablement du Mont Saint Michel. Par la suite, étude de la recirculation des déchets de la Hague, des courants et marées dans la Manche, de l’implantation d’une centrale nucléaire. Ce labo est supprimé (place au tram B) et un nouveau modèle est construit en 2014 sur le campus à Saint Martin d’Hères (LEGI Laboratoire des Écoulements Géophysiques et Industriels).
Qu’est-ce qu’un port ?
C’est une interface entre monde maritime et monde terrestre, cela implique un site logistique d’échanges, un lieu géostratégique (point sensible s’il s’agit du seul point d’entrée au pays), un site de privilèges (dockers, port autonome). C’est un ensemble complexe avec des objectifs et contraintes souvent contradictoires, avec des investisseurs qui imposent des règles.

Au XIXe siècle les ports étaient placés dans des abris naturels (estuaires, baies, rades). Les bateaux sont souvent à quai et les infrastructures sont limitées. Mais les sites se font de plus en plus rares et de plus en plus chers.
Les nouveaux besoins
Avec l’intensification du trafic maritime les ports ont dû évoluer :
- les tailles et tirant d’eau des navires ont fortement augmenté ;
- les porte containers atteignent maintenant une longueur de 400 m, une largeur de 62 m, une vitesse maximale de 25 nœuds, et peuvent contenir 24000 boîtes ;
- le déchargement : 30 boîtes/heure avec un portique (à Hambourg et en Chine tout est automatique)
- les bateaux ne doivent pas rester longtemps à quai car il ne faut pas qu’il y ait du temps d’attente (sinon l’armateur ne voudrait plus venir). Le taux d’occupation des quais est de 30% quand il était de 90% au 19e siècle ;
- les terre-pleins sont de plus en plus vastes (pour le stockage des boîtes) ;
- les profondeurs sont optimisées ;
- la création de terminaux spécialisés : voitures (surface, sécurité), céréales (silos) ;
- l’interconnexion avec d’autres modes de transport.

Des études nécessaires
Des études sont nécessaires pour analyser les effets de sédimentation, d’érosion des côtes, et obtenir des modèles physiques et mathématiques pour les ouvrages. Des ports ont été construits sans étude sérieuse préalable, comme par exemple :
- en Mauritanie, les chinois avaient remporté le projet, avec un quai perpendiculaire à la plage et un wharf plus grand que l’existant. Le port s’est ensablé et la plage s’est érodée à l’aval du port ;
- au Maroc, deux ports n’ont jamais pu fonctionner.
Sont également évoqués :
- le port du Havre-Antifer (années 70). Le canal de Suez est fermé à la fin des années 60 (guerre des six jours) et les pétroliers doivent faire un détour par le cap de bonne espérance. Les armateurs décident alors d’augmenter la taille des navires pour rentabiliser le voyage. Il est décidé de construire un terminal pétrolier français susceptible d’accueillir ces navires. Le choix est la baie de Seine, en dehors du port du Havre. L’étude (modèle 3D) est faite par la Sogreah. La stabilité de la digue de protection est assurée par des blocs cubiques rainurés sur les faces (initialement des trous prévus traversant les cubes, mais trop difficiles à réaliser). Il a fallu défoncer la falaise (extraction de matériaux). Aujourd’hui ce projet ne passerait plus l’étude d’impact environnemental (30 millions de m3 ont été dragués).
- le port de Marseille est en râteau. Sa vraie extension est le port de Fos-sur-Mer ;
- le cas de Bastia (Corse) Le port actuel est dangereux : les navires doivent entrer en marche arrière à cause d’une contre digue. Le projet a démarré en 2002, mais il n’y a toujours rien. Il y a eu un débat en 2006/2007. Le maire voulait que le port reste au même endroit. Le chantier était prévu en 2018 pour une mise en service en 2022 (coût 600M€) ;
- le transport du coton entre le port de Dakar et le Mali, simplifié grâce à l’emploi des containers ;
- le port de Kribi (Cameroun ) en eaux profondes. Le projet a démarré en 2007. Il y a eu une étude sérieuse par une équipe internationale (dans un contexte de bakchichs) en 2011 puis les chinois sont arrivés en promettant un port en 2012, avec un projet plus petit (mais aussi cher) sur un site qui n’avait pas été retenu par la Sogreah à cause de la vase. La construction s’est faite avec personnel et matériaux chinois et a été terminée en 2015 avec 3 ans de retard et l’affaissement de la digue 2 années de suite, le port, inadapté aux besoins, ayant nécessité une extension par le concessionnaire pour être opérationnel…
Comment s’élabore un projet portuaire?
- Faut-il un port spécialisé ou multi-activités ? Complémentaire ou concurrent ? Un port céréalier à Port la Nouvelle ? il y en a déjà à Fos et à Sète, alors la question se pose, mais ce qui importe c’est la destination finale de la marchandise.
- La tendance est au port propriétaire (abandon du port outil au profit du port propriétaire). Nécessité de faire appel au secteur privé (PPP partenariat public privé), aux bailleurs de fonds. A partir des années 70-80 les organismes bailleurs de fonds ont demandé des études de faisabilité.
- Il faut élaborer des scenari, faire des choix, des analyses multicritères, une analyse politique à haut niveau, d’où la nécessité d’élaborer une planification portuaire.
- Les procédures administratives deviennent de plus en plus complexes. Le débat public prend du temps et coûte cher (exemple à Bastia en Corse). Une enquête publique a eu lieu pour Port la Nouvelle.
Pourquoi Grenoble est restée internationalement reconnue dans le domaine portuaire ?
Les études sont pluridisciplinaires (techniques, shipping, opérationnelles, économiques et financières, institutionnelles et juridiques, environnementales). Il y a peu de concurrents (nationaux et internationaux) dans ce domaine capables de rassembler de tels outils et de telles équipes.

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Questions/Réponses/Discussion
- Dans le port de Marseille les navires peuvent se raccorder au réseau électrique, et ainsi couper leur moteur diesel polluant.
- Artelia à Echirolles aujourd’hui : très pointu sur les aspects techniques
- Antifer : très peu de trafic (a perdu de son intérêt avec la réouverture du canal de Suez), construit en 70/75 pour des 500000 tonnes qui n’on,t jamais été construits, il est parfois surnommé « La Villette des mers ».
- Les seuls pays où les équipes de Grenoble ne sont pas intervenues ? Les Etats-Unis. Elles sont intervenues en Asie
- A Macao un port en eaux profondes, zone de typhons. Les chinois ont fait un port, mais ne garantissent pas le projet.
- Quels sont les concurrents ? Egis (société française) qui travaille avec un labo hollandais, Royal Haskoning DHV
- Antifer transformable en usine marémotrice ? Non, les marées sont insuffisantes
- Le tétrapode (conçu et breveté par Neyrpic en 1950) est maintenant dans le domaine public. Sogreah a depuis développé l’acropode, puis l’écopode. En cas d’usure du béton, on recharge.
- Les bateaux sont de plus en plus gros, y a-t-il suffisamment d’espace pour le stockage des containers ? Les quais ne sont pas toujours occupés, et les containers sont stockés sur 9 hauteurs (sécurisés par des haubans). La gestion des containers vides est complexe.
- Qu’en est-il des ports militaires ? Ce ne sont pas les mêmes contraintes, ce sont des ports en râteaux. En pays étranger une partie des ports est à usage militaire.
Pour en savoir plus
- https://amicaleretraitessogreahartelia.e-monsite.com/pages/histoire-de-sogreah/histoire-de-sogreah.html
- https://amicaledesretraitesogreah.e-monsite.com/pages/les-logos-de-sogreah-de-1920-a-2012/laboratoire-hydraulique-de-france.html
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Artelia
- Historique du bloc artificiel utilisé dans les digues à talus : https://www.paralia.fr/revue/rpa1304.pdf