Association pour le Patrimoine et l'Histoire de l'Industrie en Dauphiné

Pont Escoffier, une odyssée de courage et d’innovations dans la vallée du Vénéon

présentée par Michel Balme, ancien conseiller municipal des 2 Alpes, membre de la Commission Patrimoine de Venosc

 

Compte rendu 

rédigé par Anne Laffont

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Introduction

Michel Balme présente le film « Pont Escoffier, une odyssée de courage et d’innovations dans la vallée du Vénéon » réalisé par Alain Klepper, ingénieur civil retraité, citoyen belge passionné de promotion patrimoniale avec les supports technologiques modernes (voir compléments en fin d’article). D’une durée d’une heure, le film retrace la chronologie des travaux, les aspects techniques, les innovations mais aussi le vécu par les habitants de la vallée durant le déroulement du chantier dans la période 1940-1947.

Avant 1914 un projet de centrale sur le Vénéon avait été élaboré pour alimenter une usine de production d’aluminium à Bourg d’Arud, mais n’a pas été réalisé. En 1941 la société hydroélectrique de Savoie reprend le projet en turbinant à Pont-Escoffier (768m) depuis le plan du lac (à 1166m). Une chute de 400m, une galerie de 6km, et une conduite forcée à la verticale de la centrale, l’eau arrivant à une pression de 40 bars. Le film retrace les travaux commencés en 1941 en période de guerre, et terminés en 1948.

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Quelques sujets évoqués dans le film

 

Les travaux des années 40

Il y avait obligation de loger et nourrir les ouvriers (jusqu’à mille ouvriers) : Des baraquements en bois ont été construits au plus près. La cantine fonctionnait avec un fourneau électrique. En cette période de restriction les entreprises achetaient du bétail, du foin. Les ouvriers travaillaient en 3×8, étaient payés tous les 15 jours, avec une retenue sur leur paye pour la pension.

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Tous les travaux ont été engagés simultanément : prise d’eau (Société Pitance), galerie d’amenée d’eau (entreprises Pascal et Dalberto de Grenoble), conduite forcée de 400m (entreprise Mollex d’Aix les bains), centrale hydroélectrique (entreprise Pyrol de Lyon), téléphériques (Société câbles et monorails de Grenoble).

Galerie d’amenée d’eau

La galerie est percée dans la montagne sous les 2 Alpes. Quatre fenêtres sont percées à flanc de montagne (on y accède par des téléphériques monovoies : un câble porteur fixe et un câble tracteur fixé au chariot). Un tunnel d’approche est percé depuis ces fenêtres sur 20 à 50 m, d’où part ensuite perpendiculairement sur la droite et la gauche le tunnel d’amenée d’eau. Les raccordements entre les tronçons se font avec un écart inférieur à 10 cm (des mesures d’angles effectuées avec une lampe à carbure réduisent l’erreur à 1cm sur 100 m).

Il y a trois types de roches sur le trajet du tunnel : une roche dure foliacée (gneiss) qui ne pose pas de problème particulier, une roche de houille et schistes où les torrents d’eau percolent ce qui gêne le travail des ouvriers, et enfin une roche dure et compacte (granit) qui doit être percée à coups de dynamite (méthode du bouchon). Une explosion accidentelle a coûté la vie à deux ouvriers. Les ouvriers travaillent dans la poussière et beaucoup mourront de la silicose. Les gravats sont évacués sur des chariots. Les téléphériques montent jusqu’à l’entrée des fenêtres le matériel et les ouvriers qui grimpent dans les nacelles non sécurisées (il n’y a jamais eu d’accident). Il y a eu 7 téléphériques entre Pont-Escoffier et le Plan du lac. On peut encore apercevoir les vestiges de certains points d’ancrage.

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Conduite forcée

Le choix fut fait d’enfouir une partie dans la roche pour préserver le paysage. Pour contenir la pression la technologie innovante des tubes autofrettés fut adoptée (permet d’utiliser moins de métal, une multitude de frettes sont enroulées autour d’une conduite en acier pas très épais, quand l’acier se dilate il vient se caler sur les frettes). Pour assurer un débit régulier, le sommet de l’amenée d’eau (1166m) est mis à la pression atmosphérique (cheminée d’équilibre).

Usine génératrice

Pour protéger la turbine Pelton (débit limité, grande hauteur de chute), l’eau est débarrassée dans un premier temps des graviers (dégravement), puis des particules plus fines (sable) par décantation dans un dessableur. La production électrique est assurée par 4 alternateurs de 13MW chacun, soit 52MW au total. La tension de sortie est de 225kV (THT).

La Muzelle et le Lauvitel servent de réservoirs d’appoint.

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Exploitation de la centrale

Au démarrage il y a eu 30 personnes pour travailler sur la centrale. Le service de quart est supprimé dans les années 70 avec la modernisation. L’hiver les machines ne tournent pas : elles sont démontées pour maintenance. L’abrasion est surveillée en permanence. Si la roue est usée (tous les 4 ans) le rendement chute et elle est plus fragile. Il en va de même pour le pointeau/aiguille où se forme le jet qui arrive sur la roue Pelton. Différents aciers sont testés sur cette centrale de Pont-Escoffier, l’eau étant particulièrement abrasive (massif cristallin).

Impact social

Ce chantier a profondément changé le village de Venosc. Parmi les ouvriers il y eut de nombreux étrangers, notamment des espagnols qui étaient réfugiés en France au camp d’Argelès depuis janvier 1939. A la déclaration de la guerre on envoie les réfugiés travailler. Le travail dans les galeries est qualifié de bagne par un réfugié espagnol. Le personnel d’encadrement est français. Les fils d’Emile Caix (décédé en 1957 de la silicose à 50 ans ainsi que ceux qui avaient travaillé avec lui sur le chantier) racontent l’époque où leur père travaillait sur le chantier : sa paye permettait d’acheter des vêtements et galoches aux 5 enfants, l’alimentation était fournie par les produits de leur ferme.

Le hameau de Venosc était un territoire d’accueil. Il y a eu de nombreux mariages entre étrangers et enfants du pays.

Sont intervenus dans ce film :

  • Michel Balme : descendant de réfugié espagnol
  • Pierre Balme : maire de Venosc et des 2 Alpes 2001-2023, descendant de réfugié espagnol
  • André Brun : garde du Parc National de Ecrins
  • Jean-Philippe Bernier : ingénieur, ancien exploitant de la centrale Pont-Escoffier
  • Louise Balme, Robert Turc-Baron : adolescents à l’époque du chantier
  • Daniel Roux, Marie-Jeanne Ala : habitants de Venosc
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Questions/Réponses/Discussion

  • Alain Klepper, ingénieur retraité résidant à Bastogne en Belgique et ayant une maison secondaire à Venosc, a réalisé ce film bénévolement.
  • La commission patrimoine de Venosc, à l’origine du film, regroupe une quinzaine de personnes, ce qui a créé la dynamique nécessaire à ce projet (qui n’aurait pu aboutir avec 2 ou 3 personnes seulement)
  • Le foyer St Benoit créé en 1946 par le Père Jean de Roodenbeke (1913-2003), curé de Venosc, est évoqué
  • Les baraquements : certains sont restés jusqu’aux années 50. Ceux du Plan du lac ont été enlevés en premier.
  • Il y a eu aussi des prisonniers allemands sur le chantier : ils travaillaient dans des conditions difficiles, en sabots
  • Il y a eu au moins 5 ou 6 personnes qui sont venues sur le chantier pour échapper au STO, et qui sont ensuite restées au village
  • Il y a eu une rafle de travailleurs espagnols par la milice.
  • Quelle était la centrale qui fournissait l’électricité au chantier ? La centrale de Saint-Guillerme.
  • Y a-t-il eu des problèmes d’approvisionnement du chantier ?
  • Le chantier était piloté par des entreprises privées. Dans le premier projet de 1905, on trouve Bouchayer-Viallet, Neyret, Dalberto
  • Une similitude avec le chantier du barrage des 7 Laux, géré par une entreprise privée en temps de guerre qui avait employé des prisonniers allemands.
  • L’entreprise Dalberto
    • Michel Balme a écrit un article dans le numéro 23 de la revue IDHA (2025) sur l’entreprise Dalberto. Son grand-père, immigré espagnol, y a travaillé et a obtenu un statut cadre. Il est décédé de la silicose. Son oncle y a également travaillé pendant 50 ans.
    • Il n’y a pas d’archive sur cette entreprise.
  • L’histoire de Venosc et de ce chantier est un bel exemple d’intégration d’immigrés.

Pour en savoir plus

Le film Pont Escoffier, une odyssée de courage et d’innovations dans la vallée du Vénéon est disponible sur youtube :  https://www.youtube.com/watch?v=t63OM35drUI.

 Compléments

Dans le domaine du patrimoine et de l’histoire de l’industrie, Alain Klepper a aussi réalisé des videos et animations virtuelles sur les Forges de Mellier (Belgique) (https://www.youtube.com/watch?v=a8NfS4Soa7c) et un « musée virtuel » sur l’Ardoisière de Warmifontaine (Belgique) (https://www.youtube.com/watch?v=0L4UZ4FMCUg)